Démarche artistique
Parce que les outils et les machines procèdent du corps humain, qu’ils prolongent, voire complètent, il y a entre les mécanismes des uns et les formes de l’autre une parenté de structures et une communauté de modes opératoires qui induisent entre eux un dialogue, lequel agit dans mon œuvre comme un leitmotiv.
Les images mentales que génèrent les analogies machine-corps humain me propulsent dans une dynamique de reconfiguration de la forme travaillée, qu’alimentent les tensions entre ses structures corporelles et les structures mécaniques. Cette manière emprunte avec autant d’affection à une tradition sculpturale remontant à l’Antiquité qu’à certains procédés de schématisation de la bande-dessinée. Ce qui m’importe tient à l’activité en soi et non à son but, et c’est pourquoi je n’investis pas mes scènes d’un véritable sujet. Corollairement, je ne me réfère pas à une vision idéale du corps ou de la nature humaine, mais plutôt à la dimension héroïque de cette dernière dans sa capacité à accomplir les gestes qui en retour la façonnent. Ma composition finale est perçue comme une phase transitoire d’une action, laquelle a été stoppée avant un éventuel aboutissement, peut-être à la seconde qui précède une rupture. Il en résulte une expectative, une incertitude parfois en demi-teinte humoristique.
La géométrisation et la segmentation des formes humaines (pliures diverses des bras et des jambes par rapport au tronc) font ressortir le fonctionnement du corps et témoignent de ses possibilités mécaniques. Elles orientent mon travail dans le sens de constructions où dominent les angles. De même, l’utilisation de pseudo-pièces de machines en remplacement de parties du corps humain renvoie à leur fonctionnalité (telle cette main-pince qui semble participer à l’élaboration de la composition dans laquelle elle se trouve). Le matériau que j’utilise, l’argile, facilite l’assemblage dynamique et la réorganisation des éléments de la composition, de même que le travail du modelé propre au rendu de la musculature humaine. Dans les rondes-bosses comme dans les groupes apparentés à la technique du relief, les personnages sont placés sur une base qui définit le cadre de l’action de même que l’angle sous lequel le spectateur est invité à aborder l’objet.
Ce qui me sollicite dans le jeu du mimétisme des structures corporelles et mécaniques, c’est la noblesse de l’effort humain dans son incessante activité, et non pas l’idée galvaudée d’une aliénation ou déshumanisation par une implacable machine. Le déploiement de cette noblesse fait entendre «le rappel que le monde n’est pas constitué seulement de ready-made, mais se construit.»1
1 Coellier, Sylvie, Quelque part entre la clôture et l’expansion : la sculpture aujourd’hui, Revue Espace, printemps-été 2014.